« Nom ? » « Keenan. » « Prénoms ? » « Olivia Justine. » « Âge ? » « 24 ans. » « Date de naissance ? » « 14 septembre. 1986. » « Lieu de naissance ? » « Canberra, Australie. » « Situation familiale ? » « C’est compliqué à vrai dire… » « … » « En concubinage. » « Prof- » « Euh non mettez plutôt célibataire. » « Profession ? » « Photographe. Je suis enregistrée à la société des photographes australiens ! » « Groupe sanguin ? » « A positif. » « Numéro de sécurité sociale ? » « Numéro de – Mais j’en ai pas, c’est pour ça que je suis là !! » « Ah, non, ici c’est le service des passeports, la sécurité sociale c’est le N22. » « Quoi ?! »

Olivia, c’est avant tout une battante. Une fille avec qui la vie n’a pas été très tendre. Après le suicide de sa mère lorsqu’elle avait quatorze ans, atteinte d’une pathologie nerveuse, elle vécut seule avec son père jusqu’à ses 18 ans. Le monde entier lui passait tous ses travers, tous ses défauts. On mettait son échec scolaire sur le compte du traumatisme qu’elle avait subi, si bien qu’au fond, au lieu de l’aider, cela n’avait fait que tirer la jeune fille vers la médiocrité. Elle n’alla pas à l’université une fois qu’elle eut terminé sa scolarité au lycée, et à la place, elle décida de prendre un boulot de serveuse dans un café afin de payer son loyer dans une colocation qu’elle avait trouvé avec un certain Billy. Peut-être avait-elle eu besoin de sortir de chez elle, de sortir de son quartier, de ramer pendant plus d’un an pour réaliser que sa vie n’avait pas à être aussi minable. Son coloc sortait, avait des amis, allait en cours… A force, Olivia se socialisa de nouveau. Elle réalisa surtout, comme un choc après avoir poussé à la porte un type ivre, qu’elle pouvait faire mieux.

Après des années d’abattement, de semi-déprime, elle décida de reprendre sa vie en mains et ce fut un travail constant de tous les jours. Elle eut deux travails à une période, afin de payer ses cours de photographie et son matériel. La journée elle servait dans ce café, et le soir, à mi-temps, elle était ouvreuse dans un petit théâtre de Canberra. Et lorsqu’elle avait une heure ou deux de temps libre, elle le passa à prendre des photos et à les développer à l’atelier de l’école. Une chose est certaine, son professeur lui fut d’une grande aide. On lui avait dit qu’il était extrêmement sévère, froid et dur avec ses étudiants et qu’elle était vraiment tombée dans la mauvaise classe. Mais en réalité, il l’était seulement avec ceux dont il pensait qu’ils ne méritaient pas leur place. Au contraire, Olivia travaillait d’arrache-pied. D’une certaine façon, ils se comprenaient.

Ils se comprenaient si bien qu’ils eurent une liaison. Ce fut passionné. Plus puissant que rien d’autre qu’elle n’avait pu vivre auparavant. Malgré leur différence d’âge et surtout malgré les risques considérables qu’ils prenaient l’un comme l’autre, ils ne pouvaient pas se séparer. C’était purement électrique, dès qu’ils avaient une seconde ensemble, ils se plaquaient contre les murs de la chambre noire de l’école, se retrouvaient dans les placards à balais, les studios de photographie, dans sa voiture, partout. Mais c’était un homme marié, et un jour, il mit fin à leur relation, après lui avoir promis durant des mois que dès qu’elle aurait son diplôme, il divorcerait et l’épouserait. Olivia eut le cœur brisé comme jamais auparavant.

Cela ralentit son insertion sur le marché professionnel. Elle resta des semaines à végéter dans l’appartement, à subir les critiques de son colocataire qui ne supportait plus de la voir ainsi. Lorsqu’il dut partir pour une convention de quelques semaines, comme il ne voulait pas laisser Olivia seule vu son passif, il contacta un de ses amis qui cherchait un logement. Au début, Olivia était extrêmement réticente (elle l’accueillit même avec des coups de batte jusqu’à ce que son colocataire véritable fasse les présentations) mais elle apprécia de plus en plus la compagnie d’Alexander qui était, comme elle, un artiste en quelque sorte. C’est un peu grâce à lui qu’elle commença à chercher ses premiers contrats et elle fut prise en pige dans plusieurs journaux locaux. Leur amitié grandissait de jour en jour mais la limite commença à devenir floue pour Olivia qui se sentait toujours très seule. Elle se confia à Alexander, par rapport à sa relation avec son prof, qui était quand même beaucoup moins interdite que celle qu’il avait eue avec sa sœur (même s’il ne le savait pas…), il se confia en retour et deux verres de vin plus tard ils s’embrassaient sur le canapé avec la Nouvelle star allumée.

Billy n’était pas là pour les ramener sur terre. Olivia, ça l’arrangeait bien, elle avait enfin quelqu’un pour partager son lit, ses nuits, ses nouilles ramen japonaises. Tout se passait bien, sans encombres jusqu’au jour où en rentrant un soir elle trouva un mot signé de la main d’Alexander qui lui annonçait purement et simplement qu’il la quittait. Grosso modo, il avait besoin de se retrouver. « Bullshit ! » avait-elle alors crié et elle se rua sur ses affaires pour faire son sac. Billy saurait se trouver une autre coloc pour occuper sa chambre quelques semaines. Quand à sa survie financière, elle arriverait bien à envoyer quelques clichés de Nouvelle Zélande à des journaux australiens. Olivia n’allait pas se faire larguer une seconde fois sans lutter.